Cet article m’a été inspirée par un échange de vidéos avec Ian.
C’est parti de cette vidéo :
On a donc un empilement de suggestion, complètement déconnectées :
- une femme fatale
- un révolutionaire mexicain
- dans une fôret
- « le poney de ton grand père est mieux que ma deux chevaux »
Arnaud Tsamère commence avec une attitude très négative pendant la prise de suggestion, ce qui est une attitude extrèmement répandue, et loin d’être ma préférée.
Cependant, j’ai ri… Toute cette phase de prise de suggestion est fort distrayante, et la réaction des comédiens est assez plaisante à voir… L’impro, nettement moins. Un jeu certes physique, mais complètement caricatural sans histoire solide, une intervention programmée sortie de nul part qui tue la fin de l’impro… Bref, pas génial… Ce qui m’a rappelé cette vidéo de Jimmy Carr :
Du grand typique de Jimmy Carr avec un mélange d’interaction avec le public dans lequel il intègre des morceaux pré-écris (la partie sur mère thérésa notamment), des réparties, des moqueries du public. Mais surtout, j’aime particulièrement sa conclusion, sur le fait qu’après avoir empilé toutes ces suggestions : Henry VIII, accent australien, lire les pensées, créationisme, ta mère, il dit : « et si on en restait là ? Vraiment… C’est tout ce que je fais en impro, là partie où vous faîtes des suggestions… J’ai toujours pensé que la suite était un peu merdique… Je les suspecte d’inventer leurs scènes. [pause] Vous avez l’air vraiment déçus, genre « oh, je pensais que ça allait être super… ». Henry VIII, l’australien et sa mère… [se met en personnage] Je sais que tu veux que je me marie, je peux lire tes pensées [fume, écrase sa cigarette, sors du personnage] C’est merdique, hein ! »
Le gros avantage du sketch de Jimmy Carr, c’est que la partie intéressante dure 7 minutes, et la scène dure 10 secondes, contrairement à celui des bonimenteurs et d’arnaud tsamère où les proportions sont inversées.
Tout ça pour en venir à une discussion sur les contraintes… Car dans ce cas là, c’est trop ! Je ne suis plus un grand amateur de suggestion depuis un moment, donc pour moi, le nombre idéal de suggestion est zéro, ou une. Dès qu’on commence à les empiler, on arrive systèmatiquement à une débauche absurde et caricaturale… Assez proche du jeu de pimping où 3 improvisateurs discutent d’un 4ème hors scène en lui attribuant plein de qualificatifs physiques et de charactère qu’il devra jouer lorsqu’il monte sur scène. Ce jeu est un pur jeu de performance qui ne mène jamais à une scène très intéressante. Et c’est une pratique très courrante… Souvent chez les groupes vétérans de l’improvisation : avec les années qui passent, pour continuer à trouver un intérêt à l’impro, ils accumulent les jeux, les suggestions, les contraintes pour augmenter la difficulté (sans parole immobile à la manière d’un wester avec comme thème « la fusée du dimanche »).
Les lecteurs assidus me diront donc : ben oui, mais attend là… Tu nous dis que trop de suggestions, c’est pas bien, parce qu’il y a trop de contraintes, mais en même temps, dans l’article précédent sur la lyliade, tu fais l’apologie des formats contraints… Faudrait savoir !
Eh bien justement, c’est l’objet de cet article ! (C’était long comme intro…)
La contrainte est ambivalente : elle nous limite et nous empèche d’inventer complètement librement, mais elle nous inspire en nous donnant des règles et un cadre. Il est difficile de trouver l’inspiration lorsqu’on contemple une page blanche ou une scène vide. L’infinité des possibilités nous rend indécis et hésitants. La contrainte, le thème, la suggestion, la règle, le format restreint cet océan de possibilité à une zone de jeu délimitée dans laquelle nous pouvons nous amuser. Il est alors toujours difficile de trouver un ensemble de contrainte qui nous inspire sans nuir à la qualité du contenu.
Alors pourquoi je trouve dommage de prendre 4 suggestions, mais je trouve super de faire un vaudeville improvisé en costume ? Parce que d’un côté on a 4 contraintes différentes prises au hasard qui génèrent forcément de l’absurde, alors que de l’autre, toutes les contraintes sont cohérentes les unes avec les autres. C’est presque la différence entre une bonne improvisation et une mauvaise. Les 4 suggestions pourraient être 4 propositions des 4 joueurs différents essayants de tirer l’impro dans leur direction : moi je veux faire une femme fatale, oui mais moi je veux faire un révolutionnaire méxicain, oui mais moi je veux jouer dans une fôret, oui mais moi je veux parler de poney et de voiture… Alors que dans un vaudeville improvisé, toutes les contraintes sont cohérentes et construites pour fonctionner ensemble !
De plus, les improvisateurs ont des réactions très différentes face aux contraintes… Certaines sont largement acceptées, et d’autres systématiquement refusées.
Par exemple, tous les joueurs de match acceptent d’avoir des improvisations chronométrées. Et pas une fois de temps en temps… Non, elles sont TOUTES chronométrées. C’est sans doute la contrainte la plus absurde qui puisse exister. La nature même de l’improvisation fait qu’on ne sait pas si une scène va fonctionner ou pas. Elle va peut être mourir au bout de 30 secondes, ou s’envoler pour durer 20 minutes… Mais on décide de ça à l’avance. Et je n’ai JAMAIS vu d’arbitre tenir son sifflet plus de 30 secondes, même si l’impro va quelque part… On peut également imposer le nombre de joueur sur scène, et les improvisateurs l’accepteront sans ciller. On peut imposer une « tenue » (habits de sports immonde, tout en noir, haut blanc, bas noir), mais dès qu’on parle de costume, la plus part des improvisateurs (qui n’ont jamais essayé) répondent « ah non… je veux un truc neutre et libre » (comme si la tenue de match était neutre et libre).
De la même façon, il est très difficile de convaincre un improvisateur de jouer un format long avec un genre (format long western, format long molière, format long stargate SG1…). C’est plus courrant à l’étranger, mais en France, les improvisateurs pensent qu’un genre est une terrible limitation de leur créativité… Pourtant, c’est une contrainte inspirante, car elle nous place dans un univers famillier (en espérant que vous ayez un certain intérêt pour le genre et/ou que vous l’ayez travaillé un peu) dans lequel vous êtes compétent.
Une troisième contrainte généralement refusée : les accessoires et les décors (même si on voit beaucoup de pérruques ridicules, et de chapeaux grotesques). Pour autant, il est rare que les improvisateurs travaillent le mime suffisamment bien pour pouvoir réellement se passer d’objets. J’avoue que l’inconvénient des acessoires, c’est qu’il est très étrange de mélanger objets mimés et accessoires réels. Il faut donc avoir suffisamment d’objets pour ne pas avoir à recourir au mime. Et ça demande beaucoup de logistique et de stockage…
De plus, les improvisateurs sont à la recherche d’originalité le plus souvent. Ils veulent créer leur propre univers, et s’éloignent des classiques. Si on prend le théâtre, le cinéma, la littérature… le nombre d’intrigue est finalement assez limité. Si on prend un sous genre : les comédies romantiques ; le nombre d’intrigue se compte sur les doigts d’une main ! Et pourtant… On nous en sort 40 par an depuis 50 ans… Tout ça pour dire qu’on a jamais épuisé un genre, on a jamais épuisé un type de scène. On pourrait faire un spectacle d’1h30 avec uniquement des scènes de rupture, et ne jamais avoir deux fois la même scène.
Pour moi, le format et les contraintes devraient nous inspirer et nous faire prendre un risque adapté : suffisamment haut pour nous mettre en danger, mais pas trop pour ne pas garantir un fiasco. Mais surtout, ils doivent changer notre façon d’improviser : penser relation / réagir avec son corps / créer du « mischief »… Les contraintes doivent nous pousser vers un beau jeu…