Un paquet de spectacles d’improvisation commencent de la même façon: des comédiens entrent sur de la musique énergique en tapant des mains ou en dansant. L’un d’entre eux prend la parole pour accueillir le public, leur dire que le spectacle est entièrement improvisé, leur expliquer le spectacle, prendre une suggestion et lancer le spectacle.
A mon avis, ce type d’introduction est tout à fait adaptée aux spectacles qui nécessitent de nombreuses interactions avec le public, ou de type cabaret. Cependant, les spectacles avec un fort parti pris, les pièces improvisées, ou les spectacles qui nécessitent peu d’interaction avec le public, il me semble qu’il existe d’autres façons de présenter son spectacle.
Comment font les autres?
C’est très rare que des comédiens entrent sur scène avant une pièce pour dire « bonjour, vous allez assister à un spectacle complètement écrit que nous avons appris par cœur et que nous allons jouer sous vos yeux ».
La plus part du temps le contenu du spectacle est communiqué en amont par le site internet, l’affiche, le programme. Lorsque le rideau se lève, le spectacle commence sans explications supplémentaires.
On peut cependant argumenter que les chœurs des tragédies grecques sont une forme d’explication du spectacle en amont, à la différence qu’il est fait par les personnages de la pièce.
A quoi sert l’intro?
L’introduction d’un spectacle sert à mon sens plusieurs fonctions:
- Capturer l’attention du public
- Mettre le public à l’aise
- Lui laisser le temps de regarder les comédiens
- Unifier le public (favoriser des réactions de groupe)
- « Expliquer » le spectacle
Discutons de chacun de ces éléments!
Capturer l’attention du public
La capture de l’attention du public se fait de façon diverses et variées: les lumières de la salle baissent, la musique monte ou s’arrête, les rideaux s’ouvrent, une personne monte sur scène.
Les méthodes sont très différentes, mais on peut y réfléchir suivant quelques axes:
- les sens: quel sens allez-vous mobiliser pour attirer l’attention de votre public? La vue et l’ouie sont les cas les plus courrant, mais peut-on commencer le spectacle avec une odeur (un parfum diffusé, de la cuisine qui cuit, …?), le toucher (une fine brume se dépose sur le public?), le sens de l’équilibre (les sièges se déplacent, la pièce bouge, un tremblement de terre, …?), …?
- la vitesse: est-ce qu’on saisis d’un coup l’attention avec une musique qui bouge et de la grosse lumière, ou est-ce que c’est un début doux avec une transition lente.
- l’unicité/le fractionnement: est-ce que vous allez attirer l’attention de tout le public en même temps, où d’une partie du public seulement qui va se propager au reste. Est-ce que l’attention va être centrale sur un point ou être attirée par plusieurs points focaux?
Il n’y a pas nécessairement une méthode qui soit mieux que d’autre, mais demandez-vous dans quel état vous souhaitez mettre votre public?
Si vous jouez un spectacle d’horreur, peut-être que la méthode monter sur scène avec de la musique qui bouge n’est pas le ton qui sert le plus votre spectacle. Peut-être que le spectacle peut commencer dans le noir, avec une musique angoissante et des bruits de grattement dans le public.
Peut-être que si vous jouez un comédie humaine et douce, vous pouvez lancer votre spectacle dans une énergie posée, avec un petit air de jazz et venir saluer les membres du public un par un?
Mettre le public à l’aise / le laisser vous regarder
Il existe toujours un temps de transition au début d’un spectacle. Un temps nécessaire à sortir de notre quotidien et de nos préoccupation, à nous installer confortablement, et à regarder les comédiens.
C’est également un temps pendant lequel on va former une première impression du spectacle. Est-ce que ça va être bien? Suis-je en sécurité? Est-ce que les comédiens savent ce qu’ils font?
Il existe plusieurs approches pour gérer ce moment :
- Un début chorégraphié / travaillé: on réalise une chorégraphie, une mise en scène, on écrit le texte. L’idée est d’ouvrir fort et d’en mettre plein la vue au public.
- Un début modeste: c’est toujours décevant un spectacle dont la fin est moins bien que le début. La qualité doit aller en montant au cours du spectacle, donc on commence modeste, sans en mettre plein la vue pour laisser le spectacle monter en puissance.
Ce temps peut-être un temps de monter sur scène en dansant, jouer une petite scènette d’ouverture, avoir une brève discussion avec des membres du public…
Ce qui est important, c’est que le publique se sente sécurisé en lui montrant de la bienveillance, et de le rassurer sur le fait que vous savez ce que vous faîtes
Unifier le public
A mon avis, c’est une des étape clé dans la réussite d’un spectacle: unifier le public. L’idée est de créer une expérience commune et d’encourager le public à réagir en masse.
Pour se faire, plusieurs possibilités:
- Encourager le public à s’assoir près les uns des autres. C’est la grande bataille: les gens veulent s’assoir le plus loin possible les uns des autres, mais le spectacle et l’expérience sera bien meilleure si le public est groupé et assis côte à côte. Pour y parvenir, vous pouvez bloquer certains sièges tant qu’une partie de la salle n’est pas remplie, demander aux gens de se déplacer une fois qu’ils se sont installés, les placer au fur et à mesure qu’ils arrivent, etc.
- Dire/Montrer des choses qui soient vraies pour tout le public: parler du temps, d’un évènement marquant, de ce que vous portez. Ca n’a pas besoin d’être particulièrement brillant (« Bonjour, je m’appelle Manu et je porte un pantalon jaune »), juste de créer un socle commun à tous.
- Les faire se présenter ou partager un détail avec des inconnus: « dites bonjour à quelqu’un que vous ne connaissez pas et partagez votre fruit préféré ». Ceci permet de diminuer le sentiment d’être parmi des étrangers.
- Encourager le public à faire quelque chose tous ensemble. Je trouve les spectacles qui demandent de crier tous ensemble particulièrement désagréable (« je vous entend paaaaaaaaas »), mais jouer à « speak in one voice » ou faire des bruitages en groupe peuvent être une entrée en matière intéressante.
Une fois que vous avez capturé l’attention du public, et que vous l’avez unifié, vous pouvez finalement…
Expliquer votre spectacle
La première questions à vous poser : est-il nécessaire d’expliquer le spectacle? La plus part des informations nécessaires sont déjà transmise par l’affiche, le programme, etc.
D’une façon générale, j’ai tendance à préférer l’idée de « show, don’t tell ». Le public est intelligent, et il peut comprendre facilement les règles du jeux par la démonstration, plutôt que par une explication.
Dans cet extrait, Bobby McFerrin explique les règles du jeu avec zéro mots et en laissant le public déduire des choses non expliquées. Et l’explication est sans doute bien plus engageante que s’il avait expliqué « je vais sauter ici et vous allez chanter une note, puis je vais sauter là, et vous aller chanter la tierce ».
C’est également le moment d’interagir avec le public, l’aider à donner des suggestions ou lui apprendre la participation que vous attendez de lui.
Pour résumer, enseignez à votre public le minimum qu’il a besoin de savoir en lui montrant plutôt qu’en lui expliquant!
Félicitation, vous avez maintenant une intro qui sert votre spectacle! Mais vous pouvez aller encore plus loin!
Reprendre le contrôle artistique de l’avant spectacle
L’expérience théâtrale commence avant le spectacle. L’arrivée dans le lieu, l’interaction avec l’accueil, l’achat de tickets, etc. Beaucoup de ces éléments sont exploités commercialement (la personne de l’accueil doit être aimable, on utilise de lieu pour faire la promotion d’autres spectacles, on vend des goodies, etc.). En revanche, ils sont rarement exploités artistiquement.
En tant qu’artiste, il est important de se demander : « Dans quel état est-ce que je veux mettre le public avant que j’entre sur scène? ».
Comment exploiter cet espace? Quelques idées en vrac:
- Décorez l’entrée, les sièges, la pièce à l’image de votre spectacle
- Trouvez des costumes pour les gens à l’accueil
- Trouvez des gens pour accompagner vos spectateurs à leur siège
- Installez des programmes, des cadeaux, des goûters sur les sièges de vos spectateurs
- Choisissez la musique que vous diffusez, ou diffusez des sons, ou rien?
- Choisissez la lumière et le décors visibles sur scène
- etc.
Lors d’une mise en scène de An Illiad, le spectacle était en plein air. Les spectateurs arrivaient sur une petite place où on leur servait de la soupe et du pain. L’espace était délimité par une corde au sol et un feu brûlait dans un poêle. On pouvait entendre les criquets et la rivière voisine. Les spectateurs étaient invités ensuite à prendre une couverture et/ou une chaise et s’installer où ils le souhaitaient. Le spectacle commençait tout doucement avec l’acteur entrant dans l’espace comme tout le monde, et saluant les gens avant de se lancer.
Le spectacle est écrit pour un acteur et une muse et consiste au récit d’un morceau de l’illiade à la manière d’un poème homérique. La mise en scène ici sert le propos. Placer le public dans l’état de recevoir une histoire orale.
Et vous?
C’était quoi la meilleure intro que vous ayez vu?
Simplement deux réflexions 🙂 :
– Concernant le fait d’unifier le public, c’est déjà un parti pris :). Je pense quand dans certains spectacle où on souhaite que le public se pose des questions, et ne soit pas simple acteur de l’histoire (mais qu’il y réagisse, s’insurge, se remette en question), je pense que le public ne peut être unifier. Voir même que ce serait une volonté du spectacle : que les spectateurs en discutent et se « confrontent » après.
– Concernant l’aspect artistique de l’accueil du public, je suis d’accord ! C’est sous exploité. Mais il faut des lieux qui s’y prêtent un minimum (ça se prépare quoi). Pour exemple, j’ai préparé un jour un spectacle avec une musique d’attente (pendant que les gens se placent) en lien direct avec l’ensemble du spectacle. Une musique qui posait son ambiance, voir qui posait question :).
Voila qu’au moment du début du spectacle, un des membres du staff coupe la musique, fait une blague dessus (qui démonte l’ambiance voulu), puis qui présente d’autre chose sans grand rapport (spectacle de plus tard, identité du lieu…). Bien pendant 10 minutes. Autant dire que lorsque le spectacle à vraiment démarré, les spectateurs n’avaient plus l’ambiance musical en tête :).
La deuxième anecdote suggère que c’est effectivement important de négocier avec le lieu la promotion et l’introduction du spectacle. C’est là toute l’opposition qu’il peut y avoir entre l’exploitation commerciale vs artistique de ce moment. Idéalement, on aimerait pouvoir faire les deux =) D’une manière générale, je trouverai chouette que les improvisateurs recommandent d’autres spectacles qu’ils ont aimé à la fin de leurs spectacles.
Sur l’unification du public, je suis d’accord que c’est un choix artistique, cependant, j’ai peu d’exemple qui me viennent en tête où il me semblerait contre productif de l’unifier. Peut-être dans le cadre du théâtre de l’opprimé où on espère que des spectateurs individuels interrompront le spectacle?