Cette réflexion m’a été inspiré par une anecdote de Keith Johnston dans Impro for storytellers :
Asking the audience for suggestions before each scene is the only method some group know, but it pushes Theatresports towards « light entertainement » (increasing the percentage of utter trivia), and can result in shows in which there isn’t one scene that the players actually want to be in.
I asked an emcee of the Boston Improvisation Group why he did this, and he said (predictably) that he had to, « or the audience wouldn’t believe we were improvising ». At that exact moment an elderly man interrupted us, saying « Excuse me, but how much do you pay the people who shout out the suggestions? And what could I earn in an average week? »
Et j’ai repensé au fait que Ian suggère que c’est impossible et surtout inutile de réellement prouver au public que c’est improvisé, et questionne même le fait de demander une suggestion au public.
Mélangeant tout ça, le parallèle avec le mentalisme m’a frappé. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le mentalisme, il s’agit d’une discipline de la magie qui se concentre sur donner l’illusion que l’artiste possède des pouvoirs paranormaux de lecture de pensée. Un mentaliste sera capable de deviner votre signe astrologique, un mot auquel vous pensez, un dessin que vous auriez fait ; il sera capable de prédire vos choix. Lors d’un spectacle de mentalisme, il est très difficile de convaincre le public que les spectateurs qui sont l’objet de ces illusions ne sont pas des complices. Les mentalistes recourent alors à deux méthodes.
La première est de rendre aléatoire le choix du spectateur (on lance une boule en papier de dos dans le public, la personne qui la rattrape sera désigné pour la suite). Mais je n’ai jamais été vraiment convaincu que ce soit une bonne méthode. Le public a tendance à imaginer que les magiciens sont capables d’une adresse et de trucs complètement surhumains, et donc l’idée qu’ils puissent choisir la personne entre les mains de laquelle la boule de papier va atterrir ne leur paraît pas totalement saugrenue.
La deuxième consiste à multiplier le nombre de spectateurs choisis. Particulièrement efficace pour les petites audiences, si la moitié du public participe au spectacle, on finit par se dire « bon, je suis quand même pas le seul spectateur de la salle, la moitié du public ne peut pas être complice ». Il me semble alors que c’est une des méthodes les plus convaincante.
Malgré tous ces efforts, il restera toujours des gens pour penser que les magiciens ont recours uniquement à des complices, et que ça explique le tout. Je vous le dis franchement : les magiciens utilisent des complices. Ca arrive ! Mais c’est rarissime !! Et il ne sont utilisés en général que pour un point de détail, et le tour ne repose pas entièrement sur le fait qu’il y a un complice. Sur dix spectacles, vous verrez parfois un effet qui nécessite un complice, et seulement pour un petit morceau. Pour autant, les gens qui doutent systématiquement ne changeront jamais d’avis…
… comme en impro ! Il existe toujours une partie du public qui croira qu’on répète systématiquement nos scènes. Pourtant, une partie du public peut peut-être douter, et utiliser la deuxième méthode des mentalistes, à savoir multiplier le nombre de demandes de suggestions du public convaincra sans doute ceux qui peuvent basculer.
Pour autant, je pense que si votre public en vient à se poser la question, c’est qu’à mon humble avis, vous avez raté votre spectacle. Un bon spectacle devrait être bon, qu’il soit improvisé ou pas, et la seule chose que devraient avoir en tête les spectateurs en sortant c’est « j’ai passé un super moment ! ». Si les spectateurs se posent la question, c’est que vous avez attiré l’attention sur le fait que vous étiez capable de monter sur scène sans rien et de faire des choses.
La magie a sa dose de magiciens qui ont ce défaut. D’ailleurs, le défaut le plus largement partagé parmi les magiciens, c’est l’orgueil et la prétention. Ils tournent leurs spectacles autour du fait que : « Regardez moi, je suis capable de transformer un éléphant en girafe ! ». Alors que leur spectacle devrait être tourné autour du fait que « Putain, un éléphant vient de se transformer en girafe !!! ».
On ne devrait pas attirer l’attention sur la performance, mais sur le contenu ! Certains improvisateurs sont en fait des gros cons de magiciens !
Checkpoint : on peut convaincre les spectateurs que c’est improvisé, en particulier en multipliant le nombre de demandes de suggestions. Ca ne devrait pas être nécessaire, et le fait que des spectateurs se posent la question montre que vous attirez l’attention sur votre performance et non pas sur le contenu du spectacle.
Maintenant, comme le demande Ian : a-t-on besoin d’une suggestion du public ?
Oui ! Du moins, j’en ai besoin !
Je ne sais pas si vous vous êtes retrouvés dans la situation suivante :
- Ah, tu fais de l’impro ?
- Oui !
- Cool, fais nous un truc ?
- Ahem…
Ca m’est arrivé plusieurs fois. En général, on a pas très envie… On est pas en condition, on est pas en énergie, et surtout, on a pas vraiment d’idée. (Ca vous rappel un truc les magiciens ?)
J’ai énormément de mal à partir sur une scène sans une suggestion. Sans doute parce que je réfléchis trop.
Pour autant, je regrette souvent que les suggestions du public soit prises aussi littéralement…
Samedi dernier, lors du spectacle que nous avons joué avec META, le mot pour le Harold était « estropié ». La scène 1 et 3 n’ont absolument pas évoqué ne serait-ce que l’idée d’un estropié. Et j’ai trouvé ça très cool, parce qu’à la fin, tout le monde s’en foutait ! La suggestion devrait toujours être prise comme une aide de la part du public, et non comme une contrainte à respecter (les joueurs de matchs peuvent relire 3 fois cette phrase avant de passer à la suivante).
Si le public vous suggère « lit », on a pas besoin de voir un lit dans votre scène ! Peut être que lorsque vous allez entendre lit, le premier truc qui surgira, ce sera un type avec des cernes. Allez-y ! Jouez un type qui a des cernes. Et vu que c’est super difficile à mimer, sans doute que personne ne saura jamais que vous aviez des cernes, mais ça influencera sans doute tout le reste de la scène, et vous aurez fait une scène sur le mot « lit ».
Checkpoint : j’ai personnellement besoin d’une suggestion (pas forcément un mot, mais juste un truc sur lequel partir), mais j’ai envie de le prendre comme un coup de main, et non comme une contrainte. Article connexe que j’ai lu il y a longtemps et qui m’a sans doute influencé sur ce que je viens d’écrire.
Pour finir, et pour en revenir au premier point, je pense qu’une des force immense de l’improvisation, c’est l’interactivité avec le public. Je suis de la génération jeux vidéo, fanatique des livres dont vous êtes le héros, pratiquant en un temps de jeux de rôle, donc l’idée que je peux avoir une influence sur l’histoire qui se déroule sous mes yeux est absolument grisante ! C’est sans doute pour ça que je suis acteur, mais je pense que le public a aussi envie d’apporter sa contribution à l’histoire. Et pas forcément qu’au début !
L’interactivité avec le public reste donc un de mes principal objectif dans la création de formats. Nous sommes actuellement en train d’en monter un qui permettrait au public d’intervenir à tout moment avec un pouvoir certes limité, mais pas limité à simplement lancer l’impro.
Keith semble dire que lors du Theatresports, il fait venir énormément de gens sur scène, et pour l’interactivité à un niveau qui m’impressionne énormément. J’ai vraiment envie de tendre vers c
e jeu avec le public… Mais ça me paraît très difficile pour l’instant ! Des suggestions ? Des expériences ?
MOAR! http://www.comedycouch.com/interviews/kjohnstone.htm
GM: Is there a particular style of improv that you prefer?
KJ: I’ve invented quite a few different forms. Some of them are more serious. I won’t go to see improvisers, actually.
GM: Why not?
KJ: It’s so stupid.
GM: Any improv?
KJ: Almost all public improvisation. Anything based on suggestions from the audience is going to be stupid.
GM: Now I’m confused. This is what TheatreSports does.
KJ: In my view, you shouldn’t get suggestions from the audience. I think it’s ridiculous. The audience competes to spoil your work. If you’re going to be the frog prince and you ask for a suggestion, they’ll say you’ve got no legs. I was in Boston and in the audience with an actor and I said, « Listen, I’ll tell you exactly what this guy will say when I talk to him. » And I went up after, and he didn’t know who I was, and I went up after the show and said, « I couldn’t help noticing you based every scene on a suggestion from the audience. » And he said what I said he’d say exactly. He said, « Yes, you have to do that or they wouldn’t believe it was improvised. » But then a little old man in a raincoat came up. He said, « Excuse me, how much do people who shout out suggestions get paid? And what could I earn in an average week? » Nobody ever believes it’s improvised anyway. That’s why it’s so embarrassing.
GM: What’s embarrassing?
KJ: It’s embarrassing when you do a bad show because they [never] think you improvised it. They actually think you considered this shit you’re putting on the stage, and considered it worth presenting. That’s very embarrassing on a bad night.
GM: So if you’re not taking suggestions, how…?
KJ: Who are the experts?
GM: The actors.
KJ: The guys on the stage. But if you take a suggestion, it protects you. You’re not revealing yourself. It’s a way to hide. For me it’s about how you relate to somebody else on the stage. People have very strange ideas like improvisers are taught to accept every idea that comes up from each other. But then you meet improvisation groups and they’ve got no idea what the other people want from them. If they have to take the shit you hand them, how do you know if they want it or not? I mean, if you watch improvisers carefully you can see them given stupid ideas and look away because they don’t want the bad news. Their partner didn’t really want it. So I think it’s a perversion. I think it’s terrible. Bad things have happened to improvisation.
Oh, et pour l’intéractivité avec le public, voici le seul spectacle d’impro dont j’ai entendu Keith parler et pour lequel il avait des étoiles dans les yeux lorsqu’il en parlait (à part Life Game).
C’est une femme qui fait un rendez-vous avec un membre masculin du public en live pendant tout le spectacle. Wow. Ca s’appelle « Blind Date ».
http://communities.canada.com/calgaryherald/blogs/onthescene/archive/2010/01/20/theatre-blind-date-by-rebecca-northan.aspx
Et ici: http://www.gracingthestage.ca/?p=1396
Merci pour toutes les références… Le point de vue de Keith est intéressant, mais je pense que « interactivité » est bien plus large que « prendre une suggestion ».
Prendre une suggestion, c’est dire au public « soyez intéressants ». Nous mettons des années à tendre vers la spontanéité. Le public qui n’a aucun entraînement crie donc une idée loin d’être spontanée, qui obtient un rire, ce qui fait qu’on se retrouve avec « tracto-pelle, ornithorynque, … » etc.
Il existe des tas de moyens de ne pas « prendre une suggestion » mais de faire participer le public quand même.
* Lui proposer des choix
* Le faire monter sur scène (j’aime particulièrement le jeu où on réalise le rêve de quelqu’un)
* Lui donner le pouvoir de changer quelque chose (un peu à la manière du lifegame, on peut imaginer que sur un coup de sonnette il puisse changer les conditions météos de la scène ?)
De plus, il faut amener le public à coopérer… Si on attire l’attention sur le fait qu’on est trop fort parce qu’on peut improviser sur n’importe quoi, il est probable que le public essaye de nous mettre en difficulté. Mais on peut aussi tenter de le faire coopérer joyeusement. Je ne sais pas comment atteindre ça encore, mais je suis persuadé que c’est possible !
Débat intéressant que celui sur les suggestions.
Un peu comme l’auteur, j’ai du mal à improviser sur une suggestion du public.
Nous en avons discuté déjà avec Ian, la difficulté étant de ne pas faire croire consciemment, ou inconsciemment, que les suggestions sont des défis pour les improvisateurs car effectivement c’est anti-narratif.
Ceci dit, y a un bout de réponse dans cet article et je crois que nous y arrivons assez bien avec ma troupe (et celle de mon prof qui pratique ainsi aussi), car les thèmes proposés par le public ne sont jamais pris à la lettre. Le public le sait, a l’habitude. C’est une impulsion, une inspiration pour les débuts de scène.
Estropié par exemple, ça m’évoque de suite le monde de la piraterie et je vais commencer par construire une plateforme dans ce sens (certainement un bateau pirate). L’idée de pirate à jambe de bois, estropié, certainement…
Et comme j’ai expliqué à Ian, preuve a été faite que le public s’en fout royalement, et j’ai jamais vu une personne se plaindre du fait que sa suggestion n’ai pas été traitée à la lettre.
Bon certes, on demande de l’écrire sur petits-papiers, et ça rappelle furieusement le match vu qu’on appelle ça « sujet ».
Mais de ce côté là, une remise en question est tout à fait possible.
*** j’ai du mal à improviser SANS suggestion du public.
J’ai écrit cet article il y a longtemps…
Maintenant, les suggestions m’ennuient plutôt.
Est-ce que la difficulté à improviser sans suggestion ne vient pas de la peur de révéler une partie de soi ? De parler de choses qui nous intéresse vraiment et qui risquent de ne pas intéresser le public ?
C’est vraiment ça en fait je pense.
Mais un public habitué à ces formes d’improvisation a d’énormes réticences vis à vis de ça, c’est une révolution qu’il faut opérer.
Moi, j’ai évolué depuis l’écriture de cet article :
J’improvise beaucoup plus facilement sans suggestions.
On m’a rarement dit à la fin d’un spectacle : il n’y avait pas assez de suggestions. C’est arrivé une fois, et c’était une improvisatrice chevronnée qui l’a fait, donc pas certain que ce soit représentatif.
Je pense qu’on utilise aussi des suggestions pour éviter d’avoir à aller fouiller dans nos propres tripes, mais j’ai moins de mal à aborder des sujets qui me semblent important sur scène…