La notion d’acceptation est au cœur des enseignements d’impro.
Pourtant, je pense qu’elle est mal comprise et mal utilisée.
L’ambivalence de l’acceptation vient du fait qu’on base nombre d’enseignements sur le « oui, et… » (accepte/propose). Cet exercice qui peut-être utilisé comme un bon exercice de spontanéité s’est souvent transformé dans les ateliers en exercice de construction d’histoire, avec une juxtaposition d’idées. Comment peut-on envisager de séparer du ressort dramatique qu’est le refus ?!?
L’exercice du « oui, et… » et la théorie de l’acceptation est utilisé pour débloquer l’immobilisme, et la tendance à vouloir rester où l’ont est, à faire ce qu’on est en train de faire, et à garder le contrôle, plutôt que de se lancer les yeux fermées dans les propositions de son partenaire.
Cependant, ce type d’approche réduit la réaction et la modification des relations et des personnages.
Pourtant, l’acceptation est un concept plus vaste que ça, il faut accepter l’univers imaginaire de l’autre, ne pas faire de « bataille de réalités ».
Il s’agit également de jouer au jeu contenu dans la scène (comme décrit dans Truth in Comedy).
Pour vous donner un exemple, lors d’un spectacle, je commençais ma scène en apprenant qu’une maladie grave m’avait atteinte, et qu’il me restait peu de temps devant moi. Je décidais donc de rentrer chez moi pour l’annoncer à ma femme et mon fils. Le « jeu » que nous avons trouvé à ce moment là était que ma femme ne me laisserai pas lui dire, et que toute tentative que j’entreprendrai pour lui dire serait interrompue (ce qui était assez drôle, mais qui était aussi quelque part un stratagème pour éviter d’être changé). On ne peut pas vraiment dire que ce « jeu » était un jeu d’acceptation, puisque ma femme m’a coupé la parole un certain nombre de fois, a refusé de rester à mes côtés quelques minutes pour discuter, etc. En revanche, il y avait une forte coopération, puisque nous jouions ensemble avec beaucoup d’amusement.
Le mot de coopération décrit donc sans doute bien mieux que celui d' »acceptation » l’état d’esprit nécessaire à la réalisation d’une bonne scène d’impro.
Ouardane, t’es vraiment en train de devenir un érudit de l’impro.
Un truc qui me fait tiquer encore et toujours, c’est « accepter l’univers imaginaire de l’autre ». Pour moi, cette expression est vraiment l’héritage du match et du système de « caucus ».
Bien sur qu’improviser avec un autre improvisateur demande de s’adapter à un style et à un univers (je préfère dire « des références ») différents du sien. Mais aux Etats-Unis par exemple, je n’ai jamais vu l’impro présentée sous l’angle de « deux univers qui se rencontrent », même si les improvisateurs sur scène ne se connaissent pas. Dès le début, tout le monde est dans la construction d’une scène commune dans un univers commun et unique. D’ailleurs, j’ai souvent entendu l’expression « bring a brick, not the cathedral » parmi les improvisateurs que j’ai rencontré
Cette fascination de voir « deux univers se rencontrer » me semble typiquement française. Et j’ai très rarement vu cette approche marcher, c’est-à-dire pour être concret, j’ai très rarement vu d’impro mixte qui fonctionne.
Yeah ! D’ailleurs, un truc que je voulais te dire depuis un moment : si tu veux écrire un bouquin, je pense que ça pourrait être très intéressant de faire un résumé de l’état de l’art sur l’impro : les différentes approches, ce en quoi elles se ressemblent, et ce en quoi elles diffèrent, et quelles notions sont communes mais appelées différemment, et quelles notions divergent.
Sinon, le terme « accepter l’univers imaginaire de l’autre » était effectivement maladroit, et je pensais à quelque chose de bien moins large qu’un univers, mais tenir pour acquis la table qu’il a mimé, ne pas dire à quelqu’un qui vient manifestement de sortir une arme de son pantalon « arrête d’agiter ta main bizarrement en l’air, tu deviens fou ! », ou le plus classique « mais tu as bu ?!? » 😉
Je voulais dire aussi que tu exprimes très clairement des concepts assez obscurs finalement, et je trouve ça super.
Un « état de l’art de l’impro » a déjà été très bien fait (en dehors de l’impro francophone) dans le livre « Improv Handbook » de Tom Salinsky et Deborah Frances-White du Spontaneity Shop de Londres. Je le recommande.