Avant je jouais avec mes amis ! Parfois les scènes étaient bien, parfois elles étaient nulles… On ne savait pas trop pourquoi ! On essayait ! Parfois on discutait pour voir si on ne pouvait pas trouver des pistes…
Maintenant que j’ai lu du Keith Johnstone, on ne fait pas forcément des scènes beaucoup mieux, je ne sais pas si j’ai vraiment progressé individuellement, mais maintenant, je sais pourquoi ça foire. Je vois les gens se protéger, je sens la peur qui leur enserre la gorge, je souffre lorsqu’ils essaient à tout prix de garder le contrôle sur la scène, je perçois les blocages… et ça fait vraiment du mal de regarder un match maintenant !
A cause de Keith, je ne sais pas si j’improvise mieux, mais en tout cas, qu’est ce que je prends cher quand je vais voir un spectacle…
Pourtant, c’est ce que j’ai fait, parce que H m’avait vendu un arbitrage exceptionnel… Un match sans fautes ! Avec des catégories originales.
Je dois avouer que rien que pour l’arbitre, le match valait le coup d’œil. Au travers d’un bref discours d’introduction, il est parvenu à changer complètement le regard du public, qui était venu avec ses pizzas, ses sandwichs, et son envie d’exprimer une énergie destructrice.
Je ne retrouverai pas les mots exacts, mais il a commencé par parler de la tribune du PSG, et de ses supporters un peu lourd, pour s’envoler sur le fait que l’impro n’était pas un sport, mais un art, et que nous étions un public qui valait mieux que ça.
Le public venait d’ouvrir un œil neuf, et était clairement intrigué. « Quoi ? Mais alors l’impro, c’est pas marrant que quand on est bourré ? On est pas là pour jeter des chaussettes sur l’arbitre et faire des blagues pendant que des abrutis s’agitent sur scène ? »
Ensuite, l’arbitre a appris au public à faire le bruit de la pluie, du vent, et de l’orage, l’encourageant à participer à l’œuvre qui allait se dérouler sous leurs yeux !
Il y a eu donc un moment très beau au cours duquel tout le public s’est mis à faire un doux bruit de pluie, qui est venu très naturellement et spontanément, au milieu d’une scène.
De plus, le public a été plutôt coopératif lorsqu’il lui a fallut trouver des mots ou des propositions, et nous avons évité les classiques « ornithorynque, chibre (spécialité locale), tractopelle, … ».
Pour autant, le match a tout de même été une longue souffrance, la première équipe étant totalement terrorisée à l’idée de monter sur scène, se censurant en permanence sur leurs idées ; l’autre s’enfermant dans ses clichés habituels (nous avons eu le coup de l’oiseau, mais cette fois-ci version corbeau, faîte à deux personnes… Et ça a fait rire le public…), chacun luttant pour contrôler la scène. Pas de prise de risque, pas de perte de contrôle… Un beau Match !
Viola Spolin écrit dans Improvisation for the Theater :
63. A moment of grandeur comes to everyone when they act out of their humaness without need for acceptance, exhibitionism, or applause. An audience knows this and responds accordingly.
Pour autant, et pour en revenir à mes convictions. J’ai encore discuté avec des gens qui m’ont dit que travailler sur l’interactivité avec le public, c’était faire le choix de la peur. Décharger sa responsabilité sur le public si c’est nul…
Je crois que c’est vrai si on prend l’exemple du match et du cabaret : demander au public une contrainte, un mot, une profession… Bref, lui demander d’être créatif à notre place, c’est se débarrasser de notre responsabilité ; petit exemple tiré du spectacle de cabaret que pratique l’une des équipe qui jouait : lors de certaines scènes, un spectateur peut tirer une carte sur laquelle est inscrite une contrainte. Il peut lancer la carte à n’importe quel moment sur scène, la contrainte s’applique alors à la scène. Ces cartes contiennent des instructions comme « changement d’époque », ou pire « changement d’accent ». Chaque joueur est alors contraint de prendre un accent pour le reste de la scène.
Sérieusement ? Comment ne pas faire quelque chose de nul avec ça ? Une scène sans tripes, sans mordant, une scène juste pour la blague…
A l’inverse, permettre au public de participer en faisant des bruitages comme celui de la pluie, c’est l’impliquer dans la scène, c’est l’associer au processus créatif, et sa responsabilité est si faible qu’on ne peut pas vraiment l’accuser d’avoir fait rater une scène.
Comme disait Keith (je paraphrase) : si le public réagit de manière désordonnée, en lançant des vannes ou des rires isolés, il n’y a rien d’intéressant dans sa réaction. En revanche, si le public réagit comme un seul homme, comme un groupe, alors il y a du génie dans leur réaction. Demander des mots à une personne isolée ne permet pas de profiter de ce génie de groupe. Il faut trouver des moyens d’impliquer le public en tant que groupe !
Je pense vraiment qu’il y a encore des choses à découvrir et à travailler sur le rôle du public dans l’improvisation.
Et pour Keith… Désolé, je voulais pas dire ça… Lisez le ! Mais surtout, filez un bouquin à tous les gens qui font de l’impro autour de vous !
« Je crois que c’est vrai si on prend l’exemple du match et du cabaret : demander au public une contrainte, un mot, une profession… »
Demander au public des thèmes ou des contraintes n’a jamais fait partie des principes du match d’improvisation.
Vous reprochez à des formateurs de ne pas se documenter, peut-être pourriez-vous donner un exemple de rigueur en vous renseignant avant de livrer ce genre de réflexions.
Merci pour votre commentaire.
Vous avez probablement raison, pourtant, dans les faits, je n’ai jamais vu de match en France qui ne fasse appel au public.
Combien d’arbitres font appel au public pour avoir un mot au début de l’impro ? Combien d’arbitres se retournent vers les spectateurs pour leur demander un handicap sur la catégorie « handicap » ?
Après, le rôle du chausson est lui aussi clairement interactif…
Je vous encourage de plus à signer vos propos, j’espère qu’ici chacun sera libre d’exprimer son opinion publiquement, sans avoir à en rougir, et je veillerai à ce que ce soit le cas.
Le livre de Keith Johnstone doit être intéressant à lire, mais existe t il en version française ?
Ses deux livres sont passionnants, mais il n’existe pas en français. Il existe des projets de traduction de son premier livre « impro » au sein de notre communauté, mais rien de très solide…
Bonjour, suite à la demande de « ju » en décembre 2011, votre projet d’une eventuelle traduction a t’il vu le jour ? Je serais très intéressée. Merci d’avance. margot . (votre site est top)
Merci !
Des bonnes nouvelles en perspective : un DVD de Keith va sortir très prochainement avec des sous titres en français, ce qui permettra déjà une première approche de son travail !
Je ne participe pas personnellement aux différents projets de traduction, mais je crois que la traduction de son premier livre Impro avance. Certaines personnes ont également attaqué la traduction de son second livre Impro for Storytellers.
Bref, ça avance, doucement, mais ça avance !
En attendant que sortent les livres et les DVD, j’ai centralisé des ressources en Français sur Keith ici : http://improviser.fr/blog/groupe-de-travail-keith-johnstone/