Les débuts de scène…

Vous avez remarqué qu’énormément de début de scènes d’impro commencent par un mime répétitif ?

Éplucher des patates (des tonnes de patates !), scier une branche de bois (une grosse !), planter un clou (un long, un trèèèèèèèèès très long clou), creuser (généralement une terre très meuble sans difficultés et toujours du même côté du trou), tondre la pelouse, cuisiner (ce qui se résume souvent à découper un légume indéfini très rapidement, et très long, ou alors plein de légumes indéfinis), lire un livre ou le journal…

Ce système fait partie des trouvailles sans doute les plus astucieuse des improvisateurs !

Tout d’abord, le fait de faire un geste répétitif permet d’échapper au regard du public. C’est un moyen de se fondre dans le décor, et de signifier « ne me regardez pas, je ne fais rien d’intéressant ».

De plus, bien souvent, ce mime répétitif est utilisé juste pour donner l’impression au public qu’il se passe quelque chose sur scène (mais les spectateurs ne sont pas dupe !), et donne l’occasion à l’improvisateur de se réfugier dans sa tête, et de chercher une « bonne idée ».

Cette idée, il ne la trouvera probablement jamais, car il est bien difficile d’être inspiré lorsqu’on s’impose la pression de trouver une bonne idée, et qu’on fait quelque chose de peu inspirant et de répétitif.

De plus, dans bien des cas, après 20 secondes de ce mime, les improvisateurs vont le lâcher pour aller faire autre chose (parler à leur partenaire sur scène le plus souvent), et ne reviendront jamais à ce premier mime.

Du coup, le début de la scène n’a-t-il pas lieu après ces 20 secondes de mime inutile ? Pourquoi avoir montré ce mime s’il est abandonné et qu’on y reviendra plus ?

C’est très astucieux, car c’est un moyen de surmonter ce moment terrifiant qu’est le début d’une scène, et qu’un moyen de s’en protéger, c’est de ne pas attirer l’attention du public, et d’aller se réfugier dans sa tête.

Pourtant, ces débuts de scènes sont rarement satisfaisants, et pour le public, ce n’est pas forcément très intéressant.

Pourquoi ? Parce qu’apporter un élément de ce mime au début, c’est faire une promesse au public. Le public a envie de comprendre pourquoi vous lui montrez 20 secondes de ce mime. Si à la fin de l’histoire, ça n’a pas servi, il ne vous en tiendra sans doute pas rigueur, et oubliera ce début. Mais si vous vous en resservez, alors le public éprouvera une grande satisfaction ! De plus, passé les 10 premières secondes qui seront nécessaire au public pour comprendre ce que vous faîtes, il sombrera dans un ennui semi-curieux de la suite.

Je vous propose donc deux alternatives à ces débuts de scène, la première pour commencer vraiment sur un mime, et la deuxième pour commencer à l’étape après le mime.

Plutôt que de faire un mime répétitif, faîtes un mime qui ne l’est pas ! Facile à dire n’est-ce pas ? Moins facile à faire.

En fait, ce qui est très très difficile, c’est de faire un mime varié tout en cherchant une bonne idée. Et si pour une fois, plutôt que de sacrifier le mime, on sacrifiait la recherche de la bonne idée ? Essayez de simplement faire ce que vous êtes en train de faire.

Si on reprend l’exemple de la cuisine, c’est une activité avec énormément de variété. On coupe différents légumes de différentes forme, on met et on sort sans arrêt des aliments du réfrigérateur, il y a des choses sur le feu à surveiller et à tourner.

Mais comment penser à tout ça sur scène ? Facile ! Commencez par être spécifique. Si vous montez en vous disant « je fais la cuisine », il y a peu de chance que ça vous inspire. Si vous montez en vous disant « je prépare une charlotte aux fraises », alors vous savez que vous allez devoir préparer une crème, des boudoirs, découper des fraises, mettre le moule au frigo. Et savoir tout ça, c’est beaucoup plus facile si vous prenez un élément qui vous est familier. Commencez une scène avec quelque chose que vous savez faire pour de vrai. Ca permet de vous mettre en confiance pour le début, et de repousser un peu la peur qui vous fera remonter dans votre tête et devenir répétitif.

De plus, avoir de la variété dans votre mime vous permettra de définir votre environnement (où est le frigo, le four, etc.), et la variété vous inspirera sans doute la suite de l’histoire (peut-être que le frigo restera fermé vous empêchant d’aller chercher vos fraises, et qu’il vous dira « je préfère la charlotte au chocolat » ou que vous vous souviendrez que vous avez prêté votre moule à votre voisin et qu’en allant le récupérer il vous ouvre habillé dans une combinaison en cuir, etc.)

Mais que faire pour les mimes qui sont réellement répétitifs (lire un livre ou un journal) ? Eh bien, il est assez rare que nous fassions véritablement une seule activité répétitive. Peut-être que vous buvez du thé en même temps que vous lisez le journal, ou que vous fumez. Peut-être que vous allez vous déplacer et changer de places ou de position. Peut-être que le livre va vous faire réagir, réfléchir, regarder par la fenêtre. Peut-être qu’il va vous passionner et vous allez vous rapprocher de la page et lire plus vite ? Bref, si vous vous concentrez sur ce que vous êtes en train de faire, et pas sur ce qui va se passer ensuite, votre mime sera bien plus riche et vous inspirera sans doute une suite à l’histoire, plutôt que de l’abandonner.

Deuxième possibilité : ne faîtes pas de mime ! Cette habitude de commencer par un mime vient de notre habitude de jouer en Match en mixte, et de ne rien devoir imposer à l’autre (du moins pendant les 30 premières secondes…), et donc de faire un mime pour montrer qui on est tout en regardant l’autre du coin de l’œil pour essayer de comprendre qui il est. Mais si on commençait tout de suite par le dialogue ? N’importe quelle phrase sera très bien. Si elle implique une relation entre vos deux personnages, c’est encore mieux (commencez votre phrase par « tu » sans savoir comment la terminer ?) !

Et si ça vous plaît de rajouter de la variété dans vos mimes, vous pouvez même ajouter de la variété dans vos débuts de scène en tentant plein de trucs (commencer dans une position particulière, en touchant votre partenaire, en ayant aucune idée de ce que vous allez dire, avec une émotion au hasard… ?) !

13 commentaires sur “Les débuts de scène…”

  1. Ton texte reflète une réalité tellement présente. Pour les improvisateurs néophites, ça fait pourtant partie du processus d’apprentissage. On leur propose d’abord de faire une manipulation en montant sur scène, parfois même la même que celle du jouteur de l’autre équipe pour créer le lien. Ce n’est que par la suite qu’on leur demande d’utiliser la manipulation pour mettre en place l’environnement et leur permettre de trouver « la bonne idée ».

    De mon côté, je suis plus partisan du mot lancé dès l’arrivée sur scène. Ou de l’arrivée dans une situation donnée. Genre tu claques une porte en criant que plus jamais tu mettrais les pieds chez un si mauvais coiffeur.

    Et que penses-tu du silence à l’entrée en scène, le fait de prendre le temps une dizaines de secondes de ne rien faire, si ce n’est exprimer un sentiment, colère, tristesse, … ?

    Bravo pour ton article en tous cas, relevant d’une situation très précise. Très utile pour les improvisateurs que nous sommes.

    I’ll be back!

    1. C’est sur qu’on apprend aux débutants de monter avec une manipulation, mais il me semble que c’est un mauvais truc, parce qu’il pousse à remonter dans sa tête et n’est pas très intéressant pour le public.

      C’est clair qu’un choix fort affirmé dès le début d’une scène est une bonne stratégie, mais j’aurais tendance à encourager à commencer positif plutôt que d’avoir un problème dès le début. Cependant, le risque, c’est que notre partenaire ne nous suive pas.

      Le silence est super intéressant aussi, mais ça ne doit pas être un silence pour se réfugier dans sa tête, mais être un choix fort.

      Merci pour les commentaires et pour avoir proposé d’autres alternatives aux débuts de scène, je suis persuadé que ce sera également bien utile !

  2. Article juste.

    J’aurais aimé qu’on mentionne le personnage. Perso je n’entre pas en me disant « je fais… ». J’entre avec un perso et je fais ou je dis un truc par rapport à ce que je sens juste par rapport au personnage.
    moi lem ec qui galè
    Silence ou mime pour moi le plus intéressant c’est de suivre ce que le personnage ferais dans telle ou telle situation.

    Pour moi le mec qui fais son entrée en répétant un geste approximatif ne sais déjà pas qui il est réellement ou du moins son personnage n’est pas affirmé. Un personnage affimré n’a rien besoi nde prouver et s’il fais quelque chose c’est parce que cela à du sens.

    Exemple: un cowboy qui attend le train et qui taille un bout de bois.
    Geste répétitif, assez neutre car rien ne va préciser le lieu ou le contexte. Mais à partir du moment ou le personnage est affirmé je pense que l’attention du public sera tenu.

    Merci en tout cas de lutter contre le gain de temps plutôt que son utilisation à bon escient.

    1. Ben justement, le cow-boy, il ne va sans doute pas faire un geste si répétitif que ça !

      Peut-être qu’il va lever la tête pour regarder venir le train de temps en temps, essuyez sa lame sur son jean, cracher, essuyer la sueur sur son front, ajuster son chapeau, etc. Ca n’arrive jamais dans la vie de faire un geste vraiment purement répétitif. Ces gestes arrivent lorsqu’on est plongé dans ses pensées plutôt que d’être plongé dans la situation.

      Après, je pense qu’il est plus facile de découvrir son personnage que de le décider. Se dire « je rentre en cow-boy », c’est risquer de remonter dans sa tête et de se demander « qu’est-ce qu’un cow-boy ferait ? ». Je pense qu’il vaut mieux laisser faire son corps, et rentrer avec un choix fort sur son corps et découvrir ce que ça veut dire sur le personnage.

  3. Un choix fort sur son corps c’est aussi penser à son corps.

    Faire un choix de personnage c’est pas mal. C’est prendre un risque tout de même. Et c’est intéressant de voir l’adaptation par rapport à la proposition de l’autre.

    Je trouve qu’en rentrant en se disant, je vais découvrir mon personnage contribue au fait qu’on voit plus l’acteur que le personnage ou que finalement le personnage n’est pas très juste.

    Faire un choix sans prévoir la suite c’est pas grave. D’ailleurs c’est ce qu’on fait tous quand on monte pour aider : »hé j’ai besoin d’un cowboy! » tu monte en cowboy et tu travailles la justesse du personnage alors pourquoi pas en début de scène?

    1. Sauf que choisir son personnage avant de monter, c’est risquer de tombé dans des personnages clichés qu’on reverra sans arrêt.

      Découvrir son personnage ça permet d’avoir des personnages plus profonds, plus fournis. Et on ne peut pas décider en une fraction de seconde quel personnage profond on va faire, ce qui pousse à faire des caricatures.

      1. Je suis assez d’accord avec Ouardane.
        Le fait d’avoir un « stock » de personnages prêts à l’emplois ne pousse pas vers beaucoup de variété. D’ailleur si l’on en crois par exemple Peter Brook (dans « L’espace vide »), même le comédien de théâtre à texte devrait se réinventer un personnage chaque soir pour qu’il garde de la vie…

        On pourrait se dire que nous autres, improvisateurs, on a assez à réinventer comme ça, mais je ne suis pas de cet avis. Au contraire, je pense que le principal intérêt de l’impro c’est d’être spontané, et de se laisser surprendre. C’est ce qui la rend vrai.

        Moins on en sait à l’avance mieux ça vaut!

  4. Donc il est possible de voir l’acteur au début de la scène et il devient personnage petit à petit?

    Il s’agit pas de choisir un personnage. Il s’agit de suivre ce que l’on sent avant de monter sur scène. La raison pour laquelle un personnage est surjoué ou caricaturé ce n’est pas parce qu’il est choisit ou non avant de monter. C’est un travail de justesse que tu auras fait ou non auparavant.

    Pour moi un personnage doit être affirmé et précis à la première seconde de scène.

    1. Découvrir son personnage ne signifie pas qu’on voit l’acteur.

      Je crois que monter en se disant « je vais faire un cowboy », ou un policier, ou une caissière, pousse au cliché.

      Il est possible d’affirmer un personnage sans pour autant savoir qui il est, comment il réagit, ce qu’il fait. On peut le découvrir au fur et à mesure.

      Et je n’aime pas du tout l’idée d’avoir un personnage travaillé qu’on ressort régulièrement. C’est convainquant la première fois, mais lorsqu’on voit un acteur se raccrocher sur un personnage habituel, c’est un peu décevant.

  5. Travailler la justesse du perso ce n’est pas travailler un perso c’est travailler la précision de jeu.

    Mais je crois qu’on parle de la meme chose.
    QUand je te parle d’entrer avec un perso ce n’est pas connaitre son métier, savoir s’il a des fausses dents ou un frère borgne. Je parle de la voix, l’attitude, l’émotion. SI tu entres avec un cow boy qui pleure, j’aimerais bien que les bruit de bottes n’aparaissent pas 1 minutes après la scène. En revanche que tu ne saches pas pourquoi il pleure ca c’est cool.

    Ce qui me fais peur c’est l’acteur qui se découvre une attitude, des accessoires en plus qui apparaissent de nulle part (ca arrive super souvent, tiens du coup mes bottes font du bruit). Même si ton perso n’a pas précisément un nom, un métier ou une époque, ce que tu affirmes au départ doit rester. Dans le cas ou il faut tout découvrir sur scène, tu deviens bossu et tu n’entres pas en bossu.

    De plus, pourquoi le jeu hors scène ne compte pas? ON pourrait imaginer que les quelques secondes avant de monter sur scène c’est déjà du jeu. En danse on nous dit toujours de commencer à danser avant d’apparaitre sur scène.

  6. J’aime beaucoup cet article. J’ai d’abord sursauté plusieurs fois au début, mais au final il m’a amené sur quelque chose que je partage, au final.

    J’ai sursauté, parce que j’ai d’un coup eu peur que Ouardane remette en cause l’idée de commencer une improvisation sur du mime, sans parler.
    Car pour moi, c’est un truc énormément gratifiant pour la scène.
    Lorsqu’on ne parle pas, on ouvre tout le champ des possibles. Dès qu’on ouvre la bouche, tout devient plus compliqué.
    Le seul risque en mimant : que ça soit incompréhensible. Dès qu’on parle : tout plein d’autres risques viennent se rajouter.
    (et ne venez pas me dire que l’impro c’est prendre plein de risques, moi je ne situe pas la notion noble de risque à ce niveau).

    Alors effectivement, lorsque c’est répétitif, c’est pour se laisser le temps de trouver une idée, mais c’est aussi le niveau 0. On s’engage pas beaucoup dans l’histoire, on prend pas trop de risques (là par contre je partage l’idée qu’il faut en prendre plus à ce niveau).

    Etre spécifique : 200% d’accord. Ne pelez pas une patate. Pelez la patate que vous avez pelé la veille. Voyez la. La texture de sa peau, l’économe que vous utilisez d’habitude, etc.

    Et pour compléter le propos de Ouardane, un truc que je fais personnellement pour ajouter de l’intérêt à l’improvisation : je rajoute une couleur à mon personnage. Tranchée. Surtout si l’action est très banale.
    Je vais peler la patate, en pleurant.
    Et peut-être que cette action va être le centre de l’impro, parce qu’ensuite il faut justifier mon chagrin. Et naturellement, l’action sera un début de réponse.

    Autre astuce, mais lorsqu’on est le partenaire qui rentre ensuite dans l’impro.
    Ne pas rentrer avec une nouvelle idée, mais faire de cette action répétitive un enjeu soudain. « Oh mon dieu !! Tu t’apprêtes à cuisiner la toute dernière patate qu’il nous reste ? :'( Après nous n’avons plus de tickets de rationnement, tu le sais… »

    Sinon pour répondre à certains commentaires :

    @ Ouardane : « Je crois que monter en se disant “je vais faire un cowboy”, ou un policier, ou une caissière, pousse au cliché. »
    >> Oui. C’est très technique en théâtre : le personnage, c’est fonction + rôle.
    Cowboy : fonction.
    Mélancolique, 59 ans, boiteux : rôle.

    Donc si on se cantonne à la fonction, on va droit dans le cliché. Et on se retrouve à faire un policier à l’accent marseillais. Ou à voir dans les séries françaises des médecins tous pareils…

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